Retour provisoire au bercail pour le talentueux photographe sénégalais, consacré sur tous les continents et qui expose à Paris en novembre…
Depuis 2011, Jeune Afrique l’avait dans son objectif. À l’époque, Omar Victor Diop exposait à la Biennale de Bamako. Il venait de se lancer dans la photo et, déjà, ce jeune autodidacte détonnait et se faisait remarquer.
En 2013, le voilà de retour au pays natal, pour exposer à la Galerie Le Manège, qui dépend de l’Institut français : à Dakar, sa ville, où il vit toujours et qu’il ne compte pas quitter. C’est là qu’en octobre 2021, JA a renoué le contact. En quelques années, malgré une consécration internationale et les voyages qui vont avec, il n’aura pas migré de plus d’une poignée de kilomètres : de Ouakam aux Almadies, deux quartiers voisins de la capitale sénégalaise.
Certes, son actuelle demeure reflète le chemin parcouru : vaste et haute, confortablement meublée, baignée d’un puits de lumière, elle englobe son « chez lui » et son studio de photo. L’homme, quant à lui, a su rester modeste malgré la consécration et vous reçoit comme si de rien n’était. Comme avant.
Sur plusieurs continents
Figure emblématique de la photographie africaine contemporaine, représenté désormais par la galerie Magnin-A, à Paris, ce quadragénaire talentueux a su capter l’attention des critiques et des amateurs d’art photographique sur plusieurs continents. Au cours des dernières années, il a ainsi exposé de Porto Alegre (Brésil) à Marrakech (Maroc) et de Houston (Texas, USA) à Oslo (Norvège), en passant par Melbourne (Australie) et Daegu (Corée du Sud).
Ses œuvres numériques (qui peuvent aller jusqu’à huit répliques) s’échangent aujourd’hui entre 5 000 et 20 000 euros. Du 11 au 14 novembre, Omar Victor Diop dévoile sa nouvelle série, « Allegoria », au Grand Palais éphémère, dans le cadre de Paris Photo. Pour l’occasion son galeriste propose une première monographie du photographe et un coffret en édition limitée.
Malgré cette consécration, Omar Victor Diop est demeuré fidèle à ses racines, telles les plantes qui, devant sa maison ou dans son confortable living, puisent dans la terre locale et s’élèvent sans craindre le ciel ou le plafond. Fidèle à son style aussi, qui allie photographie numérique, stylisme, création costumière et écriture – il rédige les légendes de ses photos avant même les prises de vue…
POUR LA PREMIÈRE FOIS, JE N’AVAIS QUE MON MATÉRIEL ET MES IDÉES
Certes, il n’est pas le premier photographe à officier des deux côtés de l’objectif en devenant le sujet de ses propres clichés. Quand et comment cette démarche est-elle née ? « En 2013, date de ma première résidence de création hors de Dakar, à Malaga (Espagne), où je me suis retrouvé loin des mannequins et modèles avec qui j’avais pu travailler jusque-là, relate-t-il. Pour la première fois, je n’avais que mon matériel et mes idées. »
Omar Victor Diop cherche alors dans la peinture baroque quel traitement est réservé à la peau noire et déniche des toiles consacrées à des personnalités africaines ou afro-descendantes, du XVe au XIXe siècle, peintes par les meilleurs artistes de l’époque, comme Diego Velasquez. « Je me suis demandé pourquoi ces Noirs-là étaient l’œuvre de peintres qui ne peignaient généralement que des papes et des rois. »
Recueillement
Frustré de découvrir ces histoires méconnues à 30 ans passés, il décide de s’en emparer. Lui fallait-il dénicher des modèles ressemblant à ces personnages oubliés par l’Histoire ? En attendant de trouver la formule de la potion magique, il pose lui-même pour les figurer. « Ce qui se passait pendant la séance de prises de vue était comme un recueillement, une invocation : je ne voudrais pas verser dans une forme de spiritualisme du dimanche mais j’ai ressenti que je faisais ce qui doit être fait en leur prêtant mon enveloppe charnelle », ajoute-t-il.
Le déclic vient lors d’une tentative sur le personnage d’un Marocain anonyme de Tanger qu’Omar Victor Diop représente à l’improviste, emmitouflé dans une tenue d’époque. Un personnage dont il ne parvient pas à retrouver le pedigree mais dont il sait néanmoins qu’il a bel et bien existé. Son portrait originel est signé du peintre catalan Josep Tapiró i Baró.
Dans l’exposition qui fermera ses portes à Dakar le 14 novembre, deux projets cohabitent : « Diaspora », qui ressuscite des personnages méconnus issus du continent africain, où Omar Victor Diop se glisse dans la peau des personnages qu’il a lui-même sélectionnés en réinterprétant les œuvres qui les ont représentés ; et « Liberty », consacré aux revendications des hommes et femmes noirs, de la naissance d’Haïti à Trayvon Martin – un Africain-Américain abattu froidement en Floride en 2012 et dont l’assassin sera pourtant acquitté.
Paradoxalement, ces deux séries afro-centrées ont, selon leur auteur, « très peu été montrées sur le continent ». C’est pourquoi elles se livrent à Dakar avec retard. « Elles pourraient constituer deux tomes de la même œuvre, et c’est très important pour moi de les amener ici », commente le photographe.
À la fois dedans et dehors, Omar Victor Diop s’y retrouve des deux côtés de l’objectif : sujet et photographe. Comment s’y prend-il techniquement ? « Toutes mes photos sont numériques. J’ai un déclencheur par télécommande. Parfois j’ai un miroir derrière l’appareil-photo ; parfois l’appareil-photo est relié à un écran qui me permet de me voir pour les prises de vue. En studio, les paramètres sont maîtrisés donc je change très peu mes réglages. »
JE FAIS DE LA PHOTOGRAPHIE CAR JE NE SAIS NI PEINDRE NI DESSINER
Sur certains clichés où il apparaît, l’artiste est par ailleurs cloné digitalement via Photoshop. « Je fais de la photographie car je ne sais ni peindre ni dessiner », confie-t-il. Lors d’une prise de vue, il fait donc « de la collecte de pixels ». « Mais le vrai travail se passe avant : dans la recherche documentaire ou dans la création costumière et la mise en scène », explique-t-il. Puis vient la « retouche », qu’il préfère appeler « création digitale » : « Les couleurs sont rarement celles que j’ai photographiées : tout change, parce que ça m’aide à exprimer l’image que j’aurais aimé dessiner. »
J’AVAIS AUTOUR DE 12 ANS QUAND J’AI DÉCOUVERT QU’ON AVAIT DES COUSINS DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE
Cette inspiration afro-centrée qui guide les pas d’Omar Victor Diop lui est venue d’un ouvrage de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé : Segou, qui décrit le lent déclin de l’empire bambara entre la fin du XVIIe siècle et celle du XIXe siècle. « Je devais avoir autour de 12 ans quand je l’ai lu, et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’on avait des cousins de l’autre côté de l’Atlantique », dit-il. Dès lors, sa vision de l’Afrique dépasse les limites géographiques du continent et intègre ses diasporas. Quand il commence sa carrière de photographe, c’est donc avec l’Afrique au cœur mais « dans sa diversité, sa pluralité ».
La recherche documentaire identitaire devient pour lui une seconde nature. “Je ne peux pas regarder un film de fiction ou un documentaire sans me demander : y avait-il des Noirs là-bas et comment ça c’est passé ? »
Recherches sur Internet, échanges épistolaires par courriel avec des universitaires et autres experts, lectures, conversations captées… Omar Victor Diop tisse patiemment une toile de connaissances. Dans le cas de Diaspora, ce travail préparatoire aura duré près de 18 mois.
QUI EST-IL VRAIMENT, CET AUTRE ? QUELLE EST L’HISTOIRE DE SON PEUPLE ?
« J’ai grandi au Sénégal et j’y ai fait l’essentiel de mes études. Ce n’est que durant un bref passage en France, pour un master, que j’ai pris conscience que j’étais ‘l’autre’. C’est là que je me suis juré que si je devenais artiste, je ferais en sorte d’affiner, changer, corriger cette paresse d’en savoir plus. » Car au-delà de la bienveillante curiosité à l’égard du « pote africain », du « pote renoi », qui est-il vraiment, cet autre ? Quelle est l’histoire de son peuple ? Quelle a été la contribution de ce dernier à « cette magnifique chose qu’est la marche des êtres humains » ? Son « job », Omar Victor Diop le définit ainsi : « Corriger ces perceptions-là sans pour autant en faire une quête douloureuse. »
En s’abstenant, donc, de livrer un cours magistral. En évitant, surtout, d’endosser la robe d’un procureur qui se contenterait de mettre l’Occident en accusation.
Hobby du dimanche
Y a-t-il eu un déclic particulier entre l’ancienne et la nouvelle vie de celui qui avait entamé sa carrière à British American Tobacco avant de devenir photographe ? « La première fois que j’ai vu mes photos imprimées et exposées, c’était à la Biennale de Bamako, en 2011 », répond-il. À l’époque, il ne s’agit pas encore pour lui d’une pratique artistique mais plutôt d’un hobby du dimanche. In extremis, le dernier jour, sur l’insistance d’un ami photographe, il avait envoyé un dossier à la Biennale – « pour qu’on ne me reproche pas de ne pas l’avoir fait’.
Six mois plus tard, il se retrouve exposé à Bamako… « et dès le lendemain, on parlait de moi dans Jeune Afrique ». Cette entrée officielle dans le monde de la photo fait office de révélation : « C’est là que j’ai pris conscience qu’on pouvait mettre des idées dans une image, sans forcément en dire plus, et qu’il y aurait des gens pour comprendre le message et poursuivre la réflexion. »
Pendant les deux années suivantes, Omar Victor Diop poursuit de front ses deux carrières : son travail et sa passion. « Et puis, à un moment donné, je n’y arrivais plus : conflit de temps et d’intérêt. » Au début de 2013, il décroche donc de British American Tobacco et opte pour la photo, imaginant d’abord qu’il s’agirait d’une année sabbatique avant de rentrer dans le rang si les choses devaient mal tourner.
JE NE RACONTE PAS MON HISTOIRE, NI MÊME L’HISTOIRE DES NOIRS : JE RACONTE NOTRE HISTOIRE
Devine-t-il pourquoi, dès sa première exposition, ses clichés ont fait vibrer la critique, les galeries et les amateurs éclairés ? « C’est peut-être le discours, la façon… Je ne prétends pas avoir inventé la jupe mais il y a peut-être une certaine humilité dans mon approche : lorsque je me promène dans mes expos, la plupart des gens ne me reconnaissent pas. Je ne raconte pas mon histoire, ni même l’histoire des Noirs : je raconte notre histoire, comme on dirait : Hey ! Tu as vu ça ? »
Laisser la culpabilité historique de côté pour entamer une véritable conversation, qui permettrait de se débarrasser des épisodes douloureux du passé, c’est cela, à l’entendre, la clé du travail d’Omar Victor Diop. « Il ne s’agit pas de flageller l’autre ni de lui demander de s’auto-flageller, estime-t-il. Par contre, s’il existe des illustrations marquantes qui lui permettent de prendre conscience qu’il y a toujours des choses, dans notre interaction, qui perpétuent une oppression ancienne, il suffit peut-être de le reconnaître et d’avancer. C’est tout. »