Ramadi ? Une défaite de Bagdad plutôt que de Washington. C’est en tout cas l’impression que laisse la lecture de l’entretien accordé par le président des Etats-Unis au magazine The Atlantic, après la chute de la capitale de la grande province d’Anbar aux mains des djihadistes de l’Etat islamique (EI). ” ll ne fait aucun doute que, dans les secteurs sunnites, nous allons devoir renforcer non seulement l’entraînement mais aussi la détermination “, analyse Barack Obama. Si la Maison Blanche ne peut pas grand-chose contre les tempêtes de sable, comme celle mise à profit par les assaillants le 17 mai, le Pentagone a promis la livraison de 2 000 roquettes antichar pour répondre au défi posé par les attaques-suicides menées par les djihadistes.
Les propos du président recueillis le mardi 19 mai, au lendemain de ce qu’il qualifie de ” revers tactique “, écartent toute remise en question de la stratégie dévoilée le 10 septembre : limiter l’engagement américain à un soutien aérien massif et à la formation de bataillons irakiens capables de tenir le choc face aux troupes de l’EI. A la succession de mauvaises nouvelles, amplifiée mercredi par la chute de Palmyre, en Syrie, et jeudi par celle du dernier poste-frontière avec l’Irak encore tenu par le régime Assad, le président oppose le temps long et la conviction que les Etats-Unis ne sont pas ” en train de perdre “.
En mai 2014, devant les cadets de West Point, M. Obama avait exposé sa doctrine. Ecartant un impossible retrait des Etats-Unis des affaires du monde, il avait indiqué vouloir limiter le recours à l’outil militaire aux menaces pesant sur les intérêts vitaux américains. Lorsque des intérêts ” simplement ” stratégiques étaient en jeu, notamment par le fait de groupes terroristes, M. Obama privilégiait le partenariat avec les pays directement concernés plutôt que l’” l’invasion “, jugée ” naïve et intenable “, comme celle décidée en Irak par son prédécesseur.
Pas de remise en questionCe choix, justifiait-il, répondait à l’atomisation d’Al-Qaida, le principal ennemi des Etats-Unis. L’émergence peu après ce discours de West Point d’une nouvelle Al-Qaida territorialisée, rebaptisée ” califat “, n’a pas remis en cause la grille de lecture du président.
L’intervention contre l’EI, décidée le 7 août, s’inscrit dans cette doctrine : mise sur pied d’une coalition internationale et soutien des autorités placées en première ligne, et donc responsables en dernier ressort de l’issue de la lutte. ” Si les Irakiens n’ont pas la volonté de se battre pour leur pays, on ne peut pas le faire à leur place “, indique M. Obama à The Atlantic.
Cette stratégie d’engagement limité fait l’objet d’interrogations, notamment le refus catégorique de déployer des troupes de combat au sol, sauf dans le cas de raids conduits par les forces spéciales. Ceux qui critiquent le président font valoir que son choix ne peut pas permettre de l’emporter face à l’EI. Une stratégie qui place en outre ponctuellement Washington à la remorque des belligérants, comme à Tikrit, lorsque les milices chiites sont entrées en action. La Maison Blanche ne donne pourtant aucun signe de remise en question.
On est bien en peine également d’identifier la moindre évolution américaine sur le front syrien depuis le choix de la non-intervention d’août 2013, modifié à la marge par les raids contre l’EI, qui ne sont qu’une extension de ceux pratiqués en Irak. A la veille de la réunion de Camp David avec les pays du Conseil de coopération du Golfe, le 14 mai, des experts, notamment au sein du Washington Institute for Near East Policy, avaient plaidé pour la création par Washington d’une zone d’exclusion aérienne dans le nord du pays pour conforter l’opposition non-djihadiste au régime syrien que Washington se propose officiellement d’encadrer. En vain. Cette création souhaitée par la Turquie lèverait pourtant l’opposition d’Ankara à l’utilisation par l’aviation américaine de la base stratégique d’Incirlik.
L’attention de M. Obama, et l’entretien accordé à The Atlantic en atteste, est concentrée pour l’instant sur la conclusion d’ici à la fin juin d’un accord avec l’Iran sur son programme nucléaire controversé, dont les conséquences, notamment la fin de l’isolement international de Téhéran, sont encore difficiles à mesurer. ” J’ai un intérêt personnel “ à cette conclusion, assure M. Obama. Alors que, par ailleurs, Washington vient de reprendre contact, au plus haut niveau, avec la Russie, la hiérarchie des dossiers de politique étrangère de la Maison Blanche est claire. L’Iran est au sommet de la pile. L’Irak (et la Syrie) au-dessous.
Gilles Paris