David Oyelowo, d'Henri VI au Dr King.

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Le soir de la cérémonie des Oscars, le 23  février, Selma n’a reçu qu’un trophée, celui de la meilleure chanson, pour Glory, que son compositeur, John Legend, et le rappeur Common, ont interprétée sur scène. La salle s’est levée pour saluer à la fois cette composition nourrie de gospel et le souvenir de Martin Luther King. Dans la foule des tuxedos et des robes du soir, la caméra s’est attardée sur le visage baigné de larmes d’un homme qui a ensuite acclamé le discours de John Legend et Common, dénonçant la répression qui s’abat sur la jeunesse afro-américaine.

Pourtant, l’homme qui pleure n’est pas afro-américain. David Oyelowo, qui tient le rôle de Martin Luther King dans Selma, est britannique. Né à Oxford, il a grandi entre le Royaume-Uni et le Nigeria, d’où sont originaires ses parents. Et ses débuts d’acteur professionnel ont été on ne peut plus anglais  : à sa sortie de l’école d’art dramatique, la Royal Shakespeare Company l’accepte dans ses rangs. Deux ans plus tard, en  2001, la RSC lui confie le rôle d’Henri VI. David Oyelowo devient ainsi, à 24 ans, le premier acteur d’origine africaine à incarner un monarque anglais shakespearien, tout en s’offrant le luxe de collectionner des critiques à faire pâlir d’envie John Gielgud.

Mais ce n’était pas assez pour le jeune homme. Devenu, à bientôt 40  ans, un acteur recherché par les réalisateurs de Hollywood, David Oyelowo enchaîne les interviews dans un hôtel londonien, expliquant pourquoi il a laissé Londres et Stratford-upon-Avon pour Beverly Hills  : ”  Au Royaume-Uni, l’industrie du cinéma est toute petite, et beaucoup des films que nous produisons sont des drames historiques dont la distribution est très majoritairement blanche. J’ai réalisé que si je restais, j’allais bientôt tourner en rond, au lieu de m’élever.  “

A son arrivée aux Etats-Unis, l’un des premiers scénarios qu’il reçoit est celui de Selma. Jusqu’alors, le comédien n’avait qu’une idée assez convenue du Dr King  : ”  Le discours “I Have a Dream”, son assassinat, son rôle dans la campagne pour les droits civiques. Mais je ne savais rien de la personne, de sa radicalité, de son abnégation, de son humanité.  “

Quand il parle de la lecture du script de Selma, David Oyelowo prend des accents mystiques. ”  Le 24  juillet 2007, j’ai eu une expérience spirituelle profonde. La personne du Dr Martin Luther King a provoqué chez moi une réaction comme je n’en avais jamais eu en découvrant un personnage. A l’époque, le réalisateur qui était impliqué dans le projet pensait que je ne convenais pas, mais ça ne m’a pas empêché de consacrer une bonne partie de mes journées depuis cette date à tout faire pour que le film se fasse.  “

Parfait pour le rôleAprès que Stephen Frears et Michael Mann eurent renoncé à diriger Selma, vint le tour de Lee Daniels, le réalisateur afro-américain de Precious, qui, lui, trouvait que David Oyelowo était parfait pour le rôle. ”  Mais nous n’arrivions toujours pas à faire décoller le film. On nous demandait de le faire avec un budget réduit  : les financiers estimaient qu’il n’y avait pas de stars afro-américaines d’une trentaine d’années (Martin Luther King avait 36 ans lors des manifestations de Selma). Il est vrai quenous n’avons pas les mêmes occasions de travailler que les acteurs blancs…  “

Finalement, Lee Daniels abandonne Selma pour Le Majordome, dans lequel David Oyelowo incarne un jeune militant radical qui justement croise le chemin du Dr King. En  2012, la filmographie de l’acteur britannique commence à devenir impressionnante. Si bien que lorsqu’il suggère aux producteurs de Selma–  parmi lesquels une société européenne, Pathé  – le nom d’une réalisatrice afro-américaine encore presque inconnue, Ava DuVernay, on l’écoute. Avec elle, Oyelowo a tourné un drame intimiste, Middle of Nowhere, qui a remporté le Prix du public à Sundance, en  2012  : ”  Ava avait un tel talent pour humaniser ses personnages… C’est exactement ce qu’il fallait pour Selma.  ” Une fois trouvée la réalisatrice, le comédien se tourne vers l’interprète et productrice du Majordome, Oprah Winfrey, qui est aussi – grâce à son talk-show et son magazine – l’une des femmes les plus riches des Etats-Unis. Oprah Winfrey accepte de coproduire le film et d’y jouer un second rôle, ce qui permet enfin d’en lancer la production.

Pour trouver la vérité d’un homme du XXe  siècle, élevé sous un régime de ségrégation, David Oyelowo n’a pas recouru à l’imagination  : ”  J’ai quatre enfants, comme le Dr King, je suis chrétien, comme lui. Pour le reste, j’ai parlé aux gens qui l’avaient connu.  ” David Oyelowo s’est appuyé sur Andrew Young, un pasteur qui, à l’époque des événements de Selma, était l’un des plus proches collaborateurs de Martin Luther King. Devenu ensuite ambassadeur à l’ONU sous la présidence de Jimmy Carter et maire d’Atlanta, Young reste, selon le comédien, ”  le seul protagoniste à ne pas vouloir exagérer son rôle dans les événements, et je crois que quelqu’un qui ne se soucie pas de parler seulement de lui-même a plus de chances de dire la vérité  “.

Quant à l’impossibilité pour les scénaristes d’utiliser les textes du pasteur – dont les droits ont été acquis par Steven Spielberg pour un film qui n’a toujours pas vu le jour –, David Oyelowo l’a vécue comme une libération  : ”  J’aurais détesté avoir à dire le discours “I Have a Dream”, ce serait comme un karaoké, comme dire “To Be or Not to Be”. Les gens récitent en même temps que vous et se demandent si vous êtes aussi bon qu’Olivier.  “

L’élection de Barack ObamaOn fait remarquer à David Oyelowo que les acteurs britanniques d’origine ouest-africaine –  lui, Idriss Elba, Chiwetel Ejiofor  – sont en train de truster les rôles d’Afro-Américains dans les productions hollywoodiennes. Pour lui, il ne s’agit pas d’une coïncidence  : ”  Il existe une tradition ouest-africaine de la narration, du récit. D’autre part, nous avons été élevés dans une éthique de l’effort. Nos parents ne voulaient pas particulièrement que nous soyons acteurs, mais ils voulaient nous voir travailler dur. L’arrivée en Amérique de cette combinaison de travail et de tradition a coïncidé avec l’élection de Barack Obama. Depuis 2007, j’ai tourné dans Lincoln, La Couleur des sentiments, Red Tail, Le Majordome, des films qui ne se seraient pas faits avant son entrée à la Maison Blanche.  ” Il ne reste plus à David Oyelowo qu’à atteindre son objectif ultime  : se voir proposer les mêmes rôles que Ryan Gosling.

Thomas Sotinel